Vous êtes-vous déjà demandé ce qui empêche l'Algérie d'avancer ? Le chroniqueur Kamel Daoud dresse un inventaire.
D'où la suivante: travailler ne sert à rien, ruser sert à tout. Cela donne l’idée de l’argent gratuit, du salaire comme butin, du bien-vacant comme droit.
C’est l’idée du pays comme butin pas comme patrie. L’idée que la fortune est celle du plus rapide, pas du plus travailleur. L’idée que l’Algérie est une vache, une laiterie, un morceau, une propriété. L'idée que «trouver» est plus intelligent que de créer.
Dehors, sur un pallier d'immeuble, dans la rue, dans la place publique, dans l’administration, dans les routes et les champs on peut salir, détruire, prendre, voler, casser, faire ses besoins, jeter ses emballages ou déboiser.
Ceux qui sont morts pour l’indépendance sont des naïfs. Ceux qui sont revenus sont des perdants. Ceux qui applaudissent sont des imbéciles. Ceux qui y croient sont des attardés.
Une «relation» est plus utile qu’une institution.
Les francophones aiment la France. Les arabophones sont plus proches de Dieu.
Donc il peut faire tout à notre place. Car nous ne sommes nulle part. il suffit d’attendre le jugement dernier.
Conduire c'est se détester, s’écraser, se faire mal, faire mal, transgresser, pousser du coude et démontrer son rang, pas son éducation.
C’est comme à l’époque des colons même si maintenant on est entre nous.
On signale, à coup d’appel de phare les radars sur les routes, mais pas les trous sur le chemin. On dénonce un couple qui s’embrass,e pas un arracheur d’arbre, un casseur de vitre, un voleur de couffin du ramadan.
Plus kabyles que les Algériens. Moins algériens que nos ancêtres. Plus fiers que les Tunisiens. Plus dignes que les Marocains. Moins noirs que les Africains.
Tous les Algériens sont des violents, sauf moi. Tout les Algériens sont idiots et voleurs, sauf moi. L’Algérie se porterait mieux si j’en étais le seul habitant. Je suis le seul à avoir la solution du cas algérien.
Rien ne sert à Rien. Il faut vite mourir pour mieux revivre au paradis. Il faut partir ou faire revenir la France.
Toutes les fortunes sont illégitimes.
Il suffit de rien pour cracher sur l’indépendance.
Mais nous sommes les premiers à insulter le pays devant le reste du monde.
Ceux qui ne sont pas musulmans ne sont pas Algériens.
Il nous faut un dictateur et une dictature car nous sommes ingouvernables par nature, par histoire.
«Ce régime est voleur, corrompu et inculte», répond le peuple.
C’est un peu le bréviaire des idées algériennes les plus ancrées, les plus tristes, celles qui nous coûtent le plus en temps et en espoir. Ces idées qu’il faut détruire pour pouvoir marcher sur terre et sur la lune et avoir des enfants sains.
Il fallait les rappeler, simplement pour nous rendre aux évidences. Pour pouvoir commencer un jour à reconstruire.
Kamel Daoud